Journée mondiale de l’art : les artistes dans les séries sont-ils crédibles ?

L’artiste, on le connaît tous, on le visualise avec nos clichés, béret sur la tête, look extravagant, moeurs libérées, caractère passionné et or au bout des doigts. On s’est tous cru un peu artiste, on s’est improvisé poète ou photographe, parce qu’au fond, les artistes nous fascinent. Les séries l’ont bien compris et ont exploité le filon, mettant en scène au gré des épisodes, toujours plus d’artistes et de créatifs, étalant les clichés saison après saison. A l’occasion de cette Journée mondiale de l’art, chez Just About Tv, nous nous sommes demandé.e.s si les artistes dépeints dans nos séries préférées étaient crédibles ou clichés ?

Nous nous sommes intéressé.e.s à plusieurs points en effectuant un comparatif avec les artistes montrés à l’écran et la réalité des artistes (recherches et témoignage à l’appui).

  • La diversité des artistes dans les séries

Tout d’abord, et c’est un bon point, on peut se réjouir de constater que le vaste univers des séries a mis en scène la diversité de ce qu’être un artiste représente, sans se cantonner au peintre barbouilleur ou à l’écrivain inspiré. Parce que l’appellation de créatif revêt bien des formes : on peut être peintre, dessinateur, écrivain, journaliste, danseur, chanteur, acteur de cinéma, mais aussi de théâtre, styliste, créateur en tous genres… Et ça fait du bien de voir toutes ces possibilités montrées sans tabou, quand la figure de l’artiste a souvent rimé avec va-nu-pieds vivant au jour le jour et destiné à finir sa vie sous un pont.

Les personnages de Glee, aspirants chanteurs et acteurs.

Il y a trente ans déjà, Les Simpson (Fox) nous faisaient nous attendrir devant la jeune Lisa, prodige musical et intellectuel précoce, dont le rêve était (et demeure) de devenir une jazzwoman renommée. Et l’on n’oubliera pas que sa mère Marge se lançait aussi dans la peinture. Dès la fin des années 90, l’iconique Sex and the City (HBO) a pris le relais en nous faisant suivre la vie hors du commun de Carrie Bradshaw, journaliste spécialisée dans le sexe, devenant par la suite écrivain à succès. Suivie de près par la série des années 2000, Desperate Housewives (ABC), mettant en scène quatre femmes au foyer, dont une artiste, Susan Mayer, au départ illustratrice et autrice de livres pour enfants, qui deviendra dans la dernière saison une artiste-peintre dénichée par une galerie, avec l’aide de son professeur le peintre André Zeller. La série d’artistes par excellence débarque peu après : il s’agit de Glee (Fox) programme très coloré qui érige l’art et la créativité en chemins de vie et où se mêle un florilège d’aspirants chanteurs, acteurs, danseurs et dont on pourrait dire que la toute récente série Katy Keene (The CW) est l’héritière avec ses jeunes danseur, chanteur, styliste, etc.

Pablo Picasso (Antonio Banderas) dans Genius (saison 2)

En plus de ces émissions de pure fiction dans lesquelles on sent néanmoins l’influence des expériences personnelles des scénaristes et showrunners (eux-même éminemment créatifs), les séries font aussi la part belle aux artistes ayant réellement existé comme la saison 2 de Genius (National Geographic Channel) mettant en scène l’incontournable Pablo Picasso, ou American Crime Story (FX) qui, également dans sa deuxième saison, suit la vie et l’assassinat du couturier Gianni Versace. Enfin, un épisode de The Crown (Netflix) nous fait connaître le peintre britannique Graham Sutherland ayant réalisé le portrait de Winston Churchill, qui était aussi peintre à ses heures perdues.

  • Comment ces artistes sont-ils montrés ? Parviennent-ils à vivre de leur art ?

La manière dont ces artistes sont montrés dépend logiquement des personnages en question, du statut qu’ils ont atteint dans leur vie d’artiste. Par exemple, les séries inspirées de faits réels comme Genius, American Crime Story et dépeignant même des faits historiques comme The Crown qui mettent respectivement en scène l’artiste Pablo Picasso, le couturier Gianni Versace et le peintre Graham Sutherland, trois individus dont l’art était l’activité principale, connus et montrés à l’écran pour cela, mettent en scène des artistes vivant leur succès, et si leurs débuts difficiles sont montrés, ils ne le sont que rapidement car c’est à leur carrière que la caméra s’intéresse.

Gianni Versace (Edgar Ramirez) dans sa villa de Miami dans American Crime Story (saison 2)

En revanche, lorsque les personnages sont inventés, le spectateur a droit à une vision plus réaliste de ce qu’être un artiste signifie – réaliste dans le sens où des succès comme ceux de Picasso sont rares, l’adage dit d’ailleurs « beaucoup d’appelés mais peu d’élus ». Bien souvent, être un artiste c’est ne pas être connu, et encore moins reconnu, et ne pas parvenir à en vivre. C’est le cas de Lisa Simpson, de Katy Keene et ses amis, de la chorale de Glee et ainsi de suite. Exception faite de Carrie Bradshaw, qui pourrait symboliser le rêve de bien des écrivaines en herbe, rêve qui, comme bien des choses se passant dans Sex and the City, ne sera réservé qu’à certains privilégiés.

Katy Keene (Lucy Hale) rêve de stylisme à ses heures perdues dans la série éponyme.

Enfin, les artistes sont aussi montrés comme des amateurs, pour certains, à l’image de Winston Churchill, Marge Simpson ou Susan Mayer pendant une grande partie de sa vie, qui peignent pour le plaisir. La variété des séries nous montre donc une diversité de profils artistiques, vivant des vies très différentes et parfois en marge de la société.

  • La place des femmes artistes

L’Histoire de l’art n’est malheureusement pas jalonnée de portraits de femmes artistes autant que d’artistes de sexe masculin. D’ailleurs, si vous cherchez dans votre mémoire des noms de femmes artistes, il vous en viendra peu et moins que d’hommes, jusqu’à une période relativement récente. Et pourtant, les études artistiques sont aujourd’hui remplies d’étudiantes aspirant aux métiers créatifs et les femmes n’étaient et ne sont pas des moins bonnes artistes que les hommes. Malheureusement, les écoles et ateliers d’art ont bien souvent été fermés aux femmes dans les siècles précédents, l’art nécessitant une certaine passion jugée inconvenante chez une femme, ces dernières n’étant pas non plus autorisées à assister à des cours de pratique où les modèles posaient nus. Bien peu d’entre elles sont arrivées à se faire un nom parvenu jusqu’à nous, si ce n’est Elisabeth Vigée-Le Brun (portraitiste de Marie-Antoinette) ou Artemisia Gentileschi. Cette peintre italienne ne pouvant entrer aux Beaux-Arts de Rome (réservés aux hommes) est violée par l’homme qui lui enseigne la peinture lors de séances privées. Son parcours en tant que femme artiste est donc d’une difficulté extrême, du seul fait de son sexe féminin. Elle en tirera néanmoins une force : en réalisant des oeuvres puissantes et expressives mettant en scène des femmes fortes. On note que ces deux femmes artistes sont nées dans des familles où leur père était peintre avant elles.

Yaël et Sisra, Artemisia Gentileschi, 1620, huile sur toile, musée des Beaux-Arts de Budapest

Heureusement, l’Histoire de l’art a évolué avec la société, et aujourd’hui, les professions artistiques ne sont plus réservées aux hommes. Beaucoup de personnages artistes sont de sexe féminin, et le succès n’est pas davantage le fait des hommes que celui des femmes. Les séries en témoignent bien : des personnages comme Rachel Berry (Glee), Lisa Simpson ou Carrie Bradshaw permettent de mesurer à quel point les choses ont changé.

  • Quel(s) message(s) ces personnages transmettent-ils au spectateur ?

On l’a vu, la variété des séries nous donne à voir des personnages très différents, délivrant eux-mêmes des messages divers au sujet de l’art et de la vie. Certains sont ancrés dans leur époque, c’est le cas de Picasso s’opposant au fascisme avec son oeuvre Guernica (1937), témoignant des horreurs de la guerre. D’autres encore, transpirent une envie de liberté et une libération, comme la vie de Versace, ouvertement homosexuel ou les chroniques de Carrie Bradshaw, célébrant l’affranchissement des femmes d’une sexualité archaïque et stéréotypée. Beaucoup d’artistes transmettent simplement leur désir de vivre de leur passion, et leur droit à une vie différente comme les personnages de Glee, de Katy Keene ou encore Lisa Simpson.

Lisa Simpson, 8 ans à peine, passionnée de jazz.

Les artistes délivrent aussi un message malgré eux, celui qui nous saute aux yeux lorsqu’on suit leurs aventures de vie : que l’art est une voie difficile, en soi parce qu’il y a peu de place pour le succès, mais aussi parce que l’artiste est bien souvent jugé peu crédible par une société au service du travail et de la production de biens et services considérés comme utiles, quand l’art serait dispensable. Ces personnages n’ont pas toujours la chance d’avoir le soutien de leurs parents, et si ces derniers leur refusent une carrière artistique, c’est parfois car ils s’inquiètent pour leurs enfants, pas par refus absolu du l’art. Mais les séries nous montrent aussi que si l’artiste atteint le succès, il aura la chance de vivre une existence hors du commun, pleine d’expériences rares, de paillettes et de mondanités, mais aussi d’échanges avec son public… Et c’est aussi cette perspective qui pousse les aspirants artistes à se lancer dans cette voie minée, en plus de leur besoin fondamental de créer.

  • En somme, les artistes montrés par ces séries sont-ils crédibles ?

S’il est évident que chaque artiste est différent, on ne peut que célébrer le fait que contrairement aux clichés des créatifs baba-cools et oisifs attendant que le succès tombe du ciel, les artistes dans les séries soient montrés comme des personnes passionnées, travailleuses, prêtes à tout et ne rechignant pas à l’effort pour réussir. Des gens d’exception ayant une vision qu’ils souhaitent faire partager au monde. Bien sûr, une série comme Glee peut manquer un peu de réalisme, *spoiler* puisque à la fin, tous les aspirants artistes sont reconnus dans leur milieu artistique et parviennent à en vivre *fin du spoiler* mais il est vrai qu’on peut le comprendre car les séries ont pour but de divertir et de faire rêver, et les personnages ont quand même eu des échecs dans leur carrière.

Jorge Lopez (Jonny Beauchamp) sous les traits de Ginger Lopez dans Katy Keene.

Ce qu’on pourra déplorer est que l’importance de la chance est négligée, quand on sait que le facteur chance a une influence considérable dans le succès ou non d’un artiste. Peut-être que le succès ne s’explique pas toujours, autrement que par un hasard heureux. Cette part de chance est-elle difficilement montrable à l’écran ? Ou est-ce parce que ceux qui créent ces séries ont eu la chance de réussir et ne sont donc pas à même de parler des créatifs sous-estimés ?

En fin de compte, de plus en plus d’artistes sont montrés dans les séries, et de manière toujours plus juste, reflet de l’acceptation que notre société a pour l’art, et de la place toujours plus grande qui lui est concédée. Nous sommes dans une société qui célèbre de plus en plus les artistes, qui s’affranchit des codes stricts des décennies et siècles précédents. L’importance de l’innovation et du besoin de créativité encourage à une meilleure tolérance des profils marginaux : il y a donc fort à parier qu’à l’instar de la toute nouvelle série Katy Keene, de plus en plus de séries soient créés autour de personnages créatifs.

Sources : biographies d’Elisabeth Vigée-Le Brun et d’Artemisia Gentileschi (Wikipédia), séries citées, cours d’Histoire de l’art de la faculté d’Arts Plastiques d’Aix-en-Provence, témoignage d’artiste.

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