Suite à la projection en première mondiale des trois premiers épisodes de Exit lors du Festival Séries Mania Lille, nous avons rencontré le réalisateur et scénariste Øystein Karlsen. Par la même occasion, nous avions partagé avec vous notre avis sur le pilot. La série norvégienne, prochainement diffusée sur NRK, a été plébiscitée cette année par le jury des étudiants. Øystein Karlsen nous en dit plus sur Exit et sur ces hommes proches de la quarantaine vivant dans ce monde de la finance totalement étranger au commun des mortels.
Just About TV : Pourquoi avoir choisi de faire une série sur le monde de la finance ?
Øystein Karlsen : C’est une histoire assez folle. Des hommes sont venus à nous. Je réalisais un autre projet et j’ai reçu un appel d’une société de production qui me disait « il y a quatre hommes enregistrés, ils parlent de leurs vies et pensent que cela devrait être adapté en série. » En considérant quelle sorte de vie ils avaient, c’était plutôt gênant. J’ai regardé les trois heures trente d’interviews, je ne connaissais pas du tout ces personnes. La Norvège est un pays riche mais je n’avais jamais vu cette forme de négligence pour l’empathie. Ils n’en ont pas du tout. Si vous n’êtes pas riche, vous ne valez rien. J’étais fasciné. Et encore, la Norvège est un petit pays, au niveau de la population, c’est seulement deux fois plus que la population parisienne. Imaginez à quel point cela doit être pire à Paris, car ce climat existe aussi là-bas, tout comme à Londres, New York… Partout dans le monde, ces personnes se connaissent.
Comment étaient ces trois heures trente d’interview ?
L’interview ressemble à celle d’un groupe de rock. S’entretenir seul à seul est totalement différent d’un entretien de groupe où chacun essaie de frimer. Le challenge a essayé de discerner comment auraient ils été si on avait pu les interviewer seul à seul. Je pense qu’ils ont essayé de se la raconter. Ils sont très guyish (sorte de macho, NDLR). Un moment donné, un des types sort son sexe et le met sur le menton d’un de ses copains et ils prennent de la cocaïne au bout de 45 minutes face à la caméra. Ils s’en foutent. Tout ce qu’ils disent par rapport à leurs valeurs est correct. L’homme qui a effectué une vasectomie sans le dire à sa femme alors qu’ils essayaient d’avoir un enfant est vraie. Il le dit avec une certaine sérénité. Un autre raconte qu’il a deux enfants avant de réaliser qu’il en a trois, mais qu’il ne compte pas la première car je n’ai pas de contact avec elle, elle ressemble presqu’à une prostituée. Je ne sais pas comment on peut dire cela. Mais il ne dit pas pour se vanter, à ce moment de l’interview, deux des hommes se trouvent dans les toilettes en train de prendre de la cocaïne. Il le dit car il le pense.
Avez-vous rencontré ces quatre hommes personnellement ?
Non, je ne le souhaitais pas, j’avais peur de les aimer. J’ai parlé à d’autres personnes faisant plus en moins parties de cette communauté. J’ai interviewé notamment des femmes que l’on appelle trophy wife (femme trophée, NDLR) et elles me disaient que le témoignage de ces hommes se rapprochait à peine de la triste réalité de ce monde. Nous avons pris la liberté d’être assez noir. Cependant, après avoir écrit les huit épisodes, je leur ai envoyé le script car je voulais qu’ils le lisent et ils me l’ont renvoyé avec des notes. Par exemple : « nous n’utilisons pas ce type de carte bancaire Black, nous avons des Centurion. Nous ne voyageons pas en commercial, nous prenons des vols charter. » Toutes les corrections étaient en rapport à leur statut mais, par exemple, l’histoire du personnage qui donne des coups de hache dans une porte en blessant une prostituée est vraie. Ils n’ont pas du tout commenté celui, ce n’était pas un problème. Mais le détail de la carte Centurion était important.
Avez-vous rencontré beaucoup d’autres femmes pour Exit ? Vous mentionnez la scène avec la prostituée, avez-vous été à leur rencontre pour avoir leur point de vue ?
Oui, j’ai rencontré la jeune femme qui se fait couper l’oreille avec la hache. Elle est présente dans chaque épisode, un des hommes tombe amoureux d’elle et elle est le seul contact qu’il a avec le monde réel. Je viens du milieu ouvrier et je trouvais cela difficile de s’identifier à ces hommes. Mais les femmes séduites par ce genre de personnes, je pense qu’elles se plongent dedans les yeux grands ouverts. Elles se disent « je préfère ne pas travailler et être avec ce type que je n’aime pas en étant payée 100.000 euros par mois pour ne rien faire. Oui, je veux des enfants, ce seront les miens, il n’a pas à participer à leur éducation. » C’est une synergie assez étrange. Tout comme ces hommes sont particuliers, ces femmes attirées par eux sont spéciales. Ils sont semblables à des mâles alpha mais si on les met dans une pièce avec des intellectuels ou seulement des personnes lisant énormément, ils ont l’air plutôt stupide car ils ne savent se comporter uniquement dans leur cercle. Et inversement, si on se trouve dans une pièce avec eux, on n’a aucune idée du contexte ou des règles, c’est totalement différent. C’est une société parallèle où ces personnes sont intouchables, même par la loi. Elles ne payent pas de taxes. Si les gouvernements les poursuivent en justice, cela va durer des dizaines années au tribunal et rien ne se passera car ils peuvent se le payer.
Malgré les horreurs qu’ils font et disent, le téléspectateur est fasciné par leur histoire. Comment avez-vous fait pour rendre ces personnages détestables intéressants ?
Tout d’abord, cela aide de prendre des acteurs attachants et charmants pour interpréter des personnages mauvais. Je pense que c’est ennuyant quand tout est noir ou blanc. Ces personnes dans le monde réel ne sont pas si mauvaises. Certains les considèrent comme sympathiques. Donc on leur a donné plusieurs dimensions dont une sorte de rédemption à travers la loyauté qu’ont ces quatre hommes entre eux, ils se foutent juste du reste du monde. C’est un aperçu d’un monde intrigant qui donne envie d’en voir plus et de voir jusqu’où cela peut mal tourner. À un certain moment, les personnages féminins deviennent principales et ce sont les seules personnes normales.
Pourquoi avez-vous choisi le titre Exit ?
Il me semble que lorsque l’on vieillit, ce monde devient de plus en plus petit. Combien de fois cela peut-être intéressant de prendre des vol charters, de payer pour une prostituée, de boire un merveilleux vin qui coûte 400.000 euros ou de prendre autant de drogues ? C’est du vide que l’on essaie de remplir avec quelque chose qui s’achète. Ils n’ont pas de proximité avec les gens autour d’eux. Qu’importe la richesse que l’on puisse avoir, on cherche en permanence quelque chose qui donne l’impression d’être quelqu’un d’accompli. Que ce soit avoir des enfants, trouver quelqu’un à aimer, même si c’est soi-même, c’est toujours ce que l’on cherche. Ces types n’ont rien de cela. Ils ont deux filles au pair qui s’occupent de leurs enfants 24h/24, la proximité n’est tout simplement plus présente. Exit signifie trouver la façon de sortir de cela.
Vous vous êtes fondé sur ces témoignages pour écrire et réaliser Exit. Vous êtes-vous inspiré d’éléments de fiction pour l’histoire et la mise en scène de la série ?
Quand nous avons tourné Exit, nous souhaitions que cela ressemble à une publicité. Tout ce que le téléspectateur voyait devait être parfait et aussi beau que possible. Tous les aspects émotionnels devaient être aussi vide que possible. Car c’est comme cela que ce monde est. Vous pourrez porter un costume à 600.000 euros, il ne vous rendra pas plus entier à l’intérieur. Nous avons essayé aussi de trouver une sorte de plateforme pour essayer de défendre également ces types, autrement cela aurait sonné faux. Nous avons essayé de montrer ce que cela faisait de se retrouver dès 23 avec 100 millions d’euros. C’est libérateur pour le développement car quand on est millionnaire à cet âge, on n’a pas à grandir, on pense que l’on contrôle le monde, que l’on ne va jamais mourir et on n’a aucun respect pour les autres.
Pouvez-vous nous expliquer ce générique mystérieux illustrant un œil ?
Dans le générique d’ouverture, on commence à l’intérieur puis on va vers l’extérieur. Ce qu’il y a à l’intérieur de l’oeil pourrait être un iris, mais ce n’est pas le cas, c’est en réalité un utérus. Cela représente l’intérieur d’une femme tombant enceinte puis on en sort à travers cet œil. L’oeil réagit après, comme si la personne avait pris de la cocaïne. Tout cela semble très intellectuel mais c’était surtout une tentative pour rendre ces personnes humaines et pour permettre au public de pouvoir leur répondre. Avec Exit, on demande au public de regarder huit épisodes sur des personnes auxquelles il ne peut probablement pas s’identifier. On avait besoin de les humaniser.
Vous présentiez en 2018 One Night à Séries Mania Lille et c’est votre troisième fois au Festival. Quelle a été votre réaction lorsque vous avez appris que Exit était sélectionné dans le panorama international de cette année ?
J’adore ce Festival. J’en ai fait plusieurs et celui-ci est le meilleur. C’est vraiment relaxant, toutes les personnes que l’on rencontre sont très amicales et souhaitent réellement que tout le monde passe un bon moment. L’ambiance n’est pas du tout tendue. La ville en elle-même est très belle, je l’adore. Ma première fois à Séries Mania était à Paris pour Dag, c’était totalement différent. Lille est géniale pour ce programme.