Suite à la projection en première mondiale des deux premiers épisodes de Chimerica lors du Festival Séries Mania Lille, nous avons rencontré l’auteure Lucy Kirkwood, le réalisateur Michael Keillor et le producteur Adrian Sturges de la mini-série anglaise. En compétition officielle cette année, Chimerica a été diffusée de l’autre côté de la Manche sur Channel 4 en avril dernier et est disponible en intégralité depuis le 8 mai sur Canal+. En pleine campagne électorale de 2016 aux États-Unis, la mini-série raconte l’histoire d’un photojournaliste dont l’intégrité est remise en cause. L’équipe de Chimerica nous en dit plus sur ce thriller politique qui mêle histoire et fiction.
Just About TV : Au départ, Chimerica est une pièce. Pourquoi avez-vous décidé de l’adapter en mini-série ?
Lucy Kirkwood : C’est aussi parce que la pièce est allée au West End et des personnes ont demandé à l’adapter en film, mais je ne voulais pas qu’elle soit adaptée en film car cela aurait signifier couper quatre heures et demi de travail avec la metteuse en scène Lyndsey Turner à 3 heures. Nous aurions dû en enlever d’avantage. Et je n’étais pas intéressée. Et ensuite Coleen Calendar m’a appelée pour me demander si j’avais envisagé de l’adapter en mini-série. c’est là que j’ai commence à être intéressée car cela me donnait une plus grande toile plutôt qu’une plus petite.
Pourquoi avez-vous souhaité traiter de la relation entre les États-Unis et la Chine dans Chimerica ? Et non, par exemple, la relation entre les États-Unis et la Corée du Nord ?
L.K. : Je pense que la Chine sera définie comme la prochaine superpuissance lors les cents prochaines années. Ce n’est pas le cas de la Corée du Nord. Je viens d’Angleterre, une ancienne superpuissance, on a perdu beaucoup de pouvoir maintenant et les États-Unis ont pris le relai. Pendant longtemps, il y avait cette question sur cette relation entre les États-Unis et la Russie. Je trouve que la Russie n’a pas su jouer intelligemment dans l’envers du décor. C’est une puissance mais personne n’imagine que la Russie devienne la prochaine superpuissance. Pour revenir à la relation entre les États-Unis et la Chine, je pense que cette relation va définir nos vies. Quand j’étais écrit la pièce, l’économie américaine était souscrite à la Chine et l’argent chinois. J’étais fascinée par ces deux pays culturellement très différents mais reliés l’un à l’autre au niveau de leurs structures.
Pourquoi avoir décidé d’illustrer particulièrement les manifestations de la place Tiananmen ?
L.K. : J’ignorais totalement l’histoire chinoise. Un jour une histoire a attiré mon attention. Je ne souhaite pas trop en dire pour ne pas divulgâcher l’intrigue mais dans le second épisode, nous reprenons une histoire vraie. C’est celle d’une jeune femme qui travaillait pour un journal chinois avant de se faire licencier pour avoir fait une référence à Tiananmen, où la censure s’applique. Mais parce que Tiananmen est censuré, elle ne savait pas qu’elle écrivait quelque chose d’interdit. Vous faites quelque chose de mal, mais nous ne le savez pas car c’est censuré. L’idée qu’un événement où au moins 1.000 personnes ont été tuées par le gouvernement (le nombre précis de victimes est encore discutée à ce jour, NDLR). Je trouve cela fou que Tiananmen puisse être absent des livres d’histoire.
Adrian Sturges : Cet été a lieu le 30e anniversaire des événements. Il y a aussi quelque chose à propos de la photo de Tiananmen. Lors des 20 ans, il y a eu une nouvelle photo de l’homme face au tank montrant un angle différent mais ne permettant pas d’identifier qui est cet homme. Il y a un grand mystère autour de lui.
L.K. : Il est le sujet d’une des images les plus iconiques du XXe siècle et personne ne sait qui il est.
A.S. : La place des manifestations est importante, dans l’épisode 5, on en voit encore une autre. C’était très intéressant de refléter aussi ces différentes sortes de manifestations.
Vous êtes partis d’une seule image pour créer cette histoire. Serait-il possible de partir d’une autre pour développer une histoire différente ?
L.K. : Je ne pense pas ! Mais il ne faut jamais dire jamais ! C’est une image très singulière à cause de tout ce mystère autour de cet homme face au tank.
Est-ce important pour vous de mettre en lumière l’enjeu éthique dans le journalisme dans le monde actuel ?
L.K. : Oui, je crois profondément à l’importance du journalisme et à la protection des journalistes. Ils sont les gardiens des informations saines, vitales pour maintenir la démocratie. L’histoire nous fait partir de là avec le bruit du mécanisme de l’appareil photo que l’on ne peut pas photoshoper. Dans le premier épisode, on comprend pourquoi il agit de cette manière et on a de l’empathie pour lui. J’ai la sensation que cela doit être très difficile et particulier de travailler dans ce journalisme-là (le photoreportage de guerre, NDLR), dans ces espaces et ces images. C’était très plaisant d’avoir pu écrire sur ce monde.
Comment Michael Keillor avez-vous rejoint le projet ? Vous avez réalisé des films politiques et de guerre. Comment êtes-vous arrivé à Chimerica ?
M.K. : Il n’y a pas énormément de scripts comme celui-ci au Royaume-Uni, qui rassemblent une histoire politique et émotionnelle qui parle de notre temps. Même quand nous étions en train de le faire, avec Trump, cela devenait de plus en plus pertinent. Il n’y avait rien que nous faisons qui nous paraissait datée ou plus d’actualité.
A.S. : Récemment, Trump a lui-même manipulé des photos pour étendre son doigt et faire paraître sa main plus grande…
L.K. : J’ai l’impression d’assister à la fin de Trump même si je ne suis pas sûre qu’il n’obtienne pas un second mandat. Je trouve cela bien que l’on continue à parler de Trump car on a tendance à le normaliser alors qu’il fait des choses détestables.
M.K. : Quand on a repris les images de l’élection de 2016, on a finalement trouvé que ce qu’il disait était plutôt innocent par rapport à maintenant. C’est important de le rappeler au public et de ne pas le normaliser.
La première scène était captivante : le photojournaliste prend un cliché iconique des manifestations la place Tiananmen. Comment avez-vous réalisé cette scène ? Avez-vous également employé des images d’archives dans Chimerica ?
M.K. : C’est un mélange. Nous avons montré des images réelles de la place Tiananmen, des images d’archives des news. En ce qui concerne les photos, nous avons refilmé des images d’un homme face au tank mais nous nous somme rendu compte que, pour la scène d’ouverture, cela fonctionnait mieux d’utiliser la vraie photo. Elle est très connue, elle date d’il y a trente ans et possède un certain grain. Nous avons mixé ces archives et les images que nous avons filmées, cela donnait un peu de véracité pour filmer la vérité. Je pense que ces images d’archives nous ramène à l’époque pour suivre le périple ce de jeune Lee (le photoreporter et personnage principal de la série, NDLR) pour faire ressentir au téléspectateur ce que cela aurait été d’être dans cette situation.
L.K. : Cela donne de la texture aux choses. À un moment donné, il prend un journal et laisse des traces de doigts dessus. Il a cette forme de nostalgie que l’on a voulu mettre à l’écran.
M.K. : Et il existe un film de l’homme devant le tank à Tiananmen, mais il dure seulement 2 minutes 30. Dans la façon dont la caméra bouge, il n’y a aucun montage.
Comment discerner le vrai de la fiction dans la série ?
L.K. : Nous en avons beaucoup parlé car c’est très difficile de décrire. Tous les personnages sont fictifs, excepté Trump. Chimerica raconte des faits réels mais avec une histoire fictive se passant dans le monde réel.
A.S. : Nous utilisons des faits réels, des images d’archives et dans le premier épisode nous faisons même référence au photographe ayant pris la photo de Tiananmen et que Lee ne peut pas la signer car ce n’est pas sa version. Nous ne voulions pas que les téléspectateurs pensent que Lee faisaient partie des photographes réels.
L.K. : Et c’est important de préciser que ces photographes ont une forte intégrité, ils n’auraient jamais fait ce que Lee fait.
A.S. : Nous voulions montrer que c’est une histoire qui aurait pu se passer. Nous voulions préciser au public que cela se passait dans le monde réel mais avec des aspects fictifs. On ne sait toujours pas qui est l’homme au tank alors que Chimerica dévoile son identité.
Dans le pilot, Lee dit que « des enfants avec un iPhone peuvent prendre de plus belles photos que lui. » Pensez-vous que les journalistes ont encore un rôle à jouer aujourd’hui ?
L.K. : Oui, que Lee dit cette réplique, il est dans un moment où il se perd lui-même face à sa plus grande crainte. Il est vrai que nous avons de meilleures appareils photos dans nos poches qu’à l’époque où on devait se déplacer avec de gros appareils. Ce qui est une bonne nouvelle ! Cela permet d’être prêt pour prendre une photo au bon moment. Cela permet d’avoir des journalistes en civils dans des lieux en crise. Nous avons besoin de personnes pour interpréter ces images, de leur expertise. Maintenant nous avons besoin d’interpréter ces signes mais également le journalisme. Ces images doivent être présentées d’une certaine façon pour être comprises et analysées. On ne peut jamais argumenter sur le fait que les journalistes ne sont pas importants, ils sont experts dans la manière de comprendre et présenter les faits.
M.K. : Quand on regarde les images fortes faites par des photographes professionnels ces dernières années, cela ne leur prend que quelques secondes pour capturer quelque chose. Que ce soit la crise au Mexique ou Charlottesville… Elles sont extrêmement fortes et ce ne sont qu’une unique photo, beaucoup plus efficace que cent photos sur Instagram. Cela représente des années d’expérience pour connaître ce moment.
L.K. : C’est comme un sport. Cela demande énormément d’entrainements de prises photos qui permet de reconnaître lorsque l’occasion se présente de l’utiliser.
M.K. : Six photographes ont pris la photo de l’homme au tank à Tiananmen mais si on les regarde, toutes les photos sont bonnes et prises par des personnes sachant prendre des photos.
De nos jours, la relation entre les médias et le public est tendue, voire brisée dans certains pays, comme aux États-Unis ou même ici en France. Pensez-vous que dans Chimerica vous devez reconnecter les gens avec l’idée de journalisme ?
L.K. : Montrer pourquoi Lee fait ce qu’il fait me permet d’être assez sentimentale envers le journalisme. Je trouve que ce que fait Trump à la presse est horrible et effrayant. Le vocabulaire qu’il emploie pour désigner le New York Times et les autres médias est terrifiant. Cette relation nécessite d’être réparée. Nous avons parlé des choses qui ont changé aujourd’hui, dans le photojournalisme l’image doit être celle que vous avez prise sans être changée. C’est l’expression sincère de ce qui se passe sur le terrain.
Quand vous avez écrit la pièce, Trump n’était pas encore au pouvoir. Avez-vous adapté la mini-série au contexte actuel ?
L.K. : C’était une des raisons pour lesquelles je voulais adapter Chimerica en mini-série. J’écris très lentement. Quand quelqu’un comme Trump ou quelque chose comme le Brexit arrive, on veut écrire dessus mais cela prend du temps. J’ai commencé à écrire la pièce à l’époque des élections de 2008, donc il a fallu passer d’une première élection gigantesque d’Obama à une élection où arrive Trump. La relation entre les États-Unis et la Chine était d’autant plus intéressante à ce moment-là car Trump utilise la Chine comme un ennemi mais il utilise aussi des prêts de la banque nationale de Chine… C’est un homme d’affaire. C’était le plus gros changement entre la pièce et la mini-série, mais aussi le plus excitant.
Quelle a été votre réaction lorsque vous avez appris que Chimerica était sélectionnée dans la compétition officielle du Festival Séries Mania Lille ?
A.S. : Nous sommes vraiment heureux d’avoir été sélectionné.
L.K. : C’était vraiment génial. Je suis très nerveuse. C’est une histoire internationale, je me sens extrêmement fière. Toutes les choses auxquelles nous faisons face aujourd’hui, les changements climatiques, les crises migratoires… On ne peut pas les résoudre, on doit les regarder de face et que les pays se mettent ensemble pour les régler.
M.K. : C’est toujours très intéressant d’assister directement à la réception du public, surtout dans le cas d’une série où les gens regardent à la télévision. On s’imagine toujours que trois ou quatre personnes regardent chez elles. Voir le public regarder sur un écran géant est excitant. Entendre l’ambiance de la salle où les spectateurs rient, pleurent… C’est vraiment agréable.