Séries Mania 2022 : retour sur la conférence « Sexualités et Séries »

Le festival Séries Mania s’est déroulé du 18 au 25 mars 2022 à Lille. Pour l’occasion, nous avons réalisé plusieurs entretiens exclusifs que vous découvrirez prochainement sur notre site, mais nous avons également assisté à une conférence centrée sur les représentations de sexualités dans les séries qui se tenait jeudi 24 mars dernier. Voici ce que nous en avons retenu.

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De son nom complet « Sexualité et séries : un simulacre de libération ? », la conférence prévue ce jeudi 24 mars lors du festival Séries Mania accueillait Ovidie Raziel en invitée principale afin de dialoguer sur la représentation des sexualités dans les séries avec le public et l’animatrice de cet échange, Iris Brey.

Avant de débuter notre résumé de la conférence, faisons une brève présentation des deux intervenantes qui se sont liées d’amitié au détour d’une conversation dans une chambre d’hôtel pendant la pandémie et qui se sont découvert de nombreux points communs : doctorantes, féministes et engagées. De son côté, Ovidie Raziel est actrice, réalisatrice, documentariste, journaliste et autrice. On lui doit notamment la bande-dessinée Libres ! Manifeste pour s’affranchir des diktats sexuels adaptée en mini-pastilles animées disponibles en visionnage libre sur le site d’Arte et sa plateforme. Prochainement, sa première série intitulée Des Gens Bien Ordinaires, qu’elle décrit comme « une dystopie où les genres sont inversés » sortira sur Canal+. Iris Brey est quant à elle journaliste, écrivaine, critique littéraire, télévisuelle et cinématographique. Elle est l’autrice du livre Sex and the Series qui décrypte la représentation des sexualités féminines à la télévision et travaille elle aussi sur sa première série télévisée.

Libres ! - Culture et pop | ARTE
Arte / Libres !

La conférence débute par un extrait du Bureau des Légendes mettant en scène un 69 entre deux personnages hétérosexuels. Une séquence où « rien ne va » selon Ovidie Raziel et Iris Brey qui décortiquent chaque plan et nous livrent leur analyse : manque de crédibilité quant à l’orgasme féminin et à la position de la protagoniste, voyeurisme… La scène ne raconte rien et ne sert qu’à choquer les téléspectateur·ices, contrairement à une séquence similaire dans la série The Americans où le 69 a comme objectif de montrer que les personnages sont finalement sur un pied d’égalité dans leurs sentiments. En bref : du sexe pour du sexe, non, mais du sexe utile, oui !

Le prochain show évoqué est d’actualité puisqu’il s’agit de Pam & Tommy, biopic partiel non-officiel et non-approuvé de Pamela Anderson. Qu’il soit disponible sur une plateforme familiale comme Disney+ étonne fortement Ovidie en raison des catégories de programmes et des avertissements liés à la nudité explicite. En effet, la série contient des scènes de nu frontal masculin pour Sebastian Stan, avec un (faux) pénis en érection en gros plan. En revanche, pour Lily James, seuls des seins prosthétiques sont visibles mais à aucun moment un sexe féminin ne l’est, comme le remarquent nos conférencières… Ovidie ajoute que jamais une vulve ni un clitoris n’ont par ailleurs été montrés en fiction, sinon le programme passerait automatiquement en catégorie 5, à caractère pornographique. Même le mot « vagin » a été interdit d’emploi à la télévision américaine pendant très longtemps -mais pas le mot « pénis »- et l’un des pionniers en la matière a été Grey’s Anatomy. Shonda Rhimes a usé d’un subterfuge pour plus ou moins placer le mot dans les dialogues puisqu’elle a inventé le terme « va-jay-jay » pour évoquer le sexe féminin.

Just About TV / Iris Brey (à gauche) et Ovidie Raziel (à droite)

Nous passons désormais à la sexualité des seniors, souvent taboue et peu exploitée dans les séries, avec un extrait de Nona et ses filles, récemment diffusée sur Arte avec Miou-Miou dans le rôle-titre. La question de l’âge est assez sensible car concernant les hommes, beaucoup ignorent que la masturbation est toujours possible passée 80 ans par exemple et concernant les femmes, la sexualité après la ménopause manque de représentation. Nous verrons plus tard un extrait de And Just Like That… qui met en scène l’une des héroïnes prenant conscience de sa sexualité à 55 ans. D’ordre général, les femmes sont sujettes à une certaine discrimination sexuelle passée la cinquantaine. Nous découvrons alors une pastille de Libres ! sur le sujet, programme qu’Ovidie a voulu rendre accessible au plus grand nombre en la proposant en visionnage gratuit sur Arte.

Selon Iris Brey, cette aliénation sociétale vient des 3 M : Maternité, Ménopause, Menstruation. Les mères, les femmes de plus de 50 ans et les personnes en période de règles subissent davantage de discrimination que les autres au niveau de la sexualité. La série Crazy Ex-Girlfriend est notamment abordée et reprend la thématique de la censure à la télévision. Rachel Bloom, co-créatrice, productrice, scénariste et interprète du rôle principal, a tenté de décomplexer au sujet des menstruations en faisant dire à son personnage qu’il est normal de faire l’amour en tant de règles et qu’il suffit de mettre une serviette dans le lit. Une chanson était même prévue à cet effet « Period Sex » mais elle a été interdite de diffusion par la chaîne, The CW, ainsi que par Netflix. Par conséquent, l’actrice a posté la vidéo sur son profil YouTube personnel. Iris Brey ajoute que même une simple scène avec un tampon est inédite à la télévision…

This 'Crazy Ex-Girlfriend' Song About Period Sex Is Bloody Great | Glamour
Crazy Ex-Girlfriend / Rachel Bloom

Après le sang, le sperme ! Nous voici face à un extrait de Genera+ion, qui nous montre un ado en pleine découverte de sa sexualité et de son sperme. La scène est bien amenée et dédramatise le propos, ce qui peut permettre d’éduquer d’autres jeunes personnes sur le sujet, tout comme la série Sex Education le fait mais de manière moins radicale. Les intervenantes cherchent alors un exemple de scène similaire sur la cyprine et questionnent même le public mais il semblerait que rien n’ait été fait sur le sujet. Elles ajoutent que même le terme « cyprine » est inconnu de nombreux individus, y compris des femmes elles-mêmes… De quoi faire réfléchir !

Le rapport à la grossesse et la maternité est ensuite mentionné. Les scènes d’accouchements sont souvent peu crédibles dans les fictions et rares sont les représentations de l’IVG ou des fausses-couches. Les intervenantes citent toutefois Les Noces Rebelles où le personnage de Kate Winslet s’auto-avorte sous couvert d’une réalisation pudique mais très bien amenée.

Enfin, le plaisir féminin est approché via And Just Like That… -comme écrit un peu plus haut- avec une protagoniste ayant son premier orgasme depuis des années et surtout, avec une personne non-binaire. Une sexualité qu’elle se découvre et un plaisir retrouvé qu’elle pensait avoir perdu après des années de mariage hétérosexuel. La série-mère, Sex and the City, avait déjà marqué son époque en démocratisant l’utilisation du vibromasseur puisque dans un des épisodes Charlotte découvrait le plaisir solitaire via le sex-toy lapin.

HBO Max / And Just Like That

La parole est maintenant donnée au public qui peut poser des questions aux hôtesses des lieux. La série Normal People est notamment évoquée et c’est Iris Brey qui prend la parole sur le sujet. Selon elle, il est très bien de montrer une telle série en prime time sur France 5 et elle nous explique qu’une coordinatrice d’intimité intervient sur le tournage. Il s’agit d’un métier qui se développe depuis quelques années dans la profession car tou·tes les acteur·ices ne sont pas forcément à l’aise pour les scènes de sexe avec leurs partenaires à l’écran. Il s’agit de fixer des limites, de voir ce qui est faisable ou non, tout en restant respectueux et crédibles. Cela exige un travail de réflexion en amont de la part des réalisateur·ices puisqu’iels doivent construire la scène plan par plan. La perception du public des séquences intimes et leur impact sur les actrices est très important à prendre en compte, d’où cette aide artistique. Ovidie ajoute que les hommes sont moins concernés mais lorsqu’une actrice est interrogée sur le déroulement d’une scène de sexe, elle se défend systématiquement en disant soit qu’elle avait une doublure soit en trouvant une parade comme pour le tournage de La Vie d’Adèle (les actrices ont dit qu’il s’agissait d’un vagin en latex, ndlr). De manière générale, il est très compliqué pour une femme d’assumer ce genre de scènes, de peur d’être cataloguée…

En conclusion, depuis le mouvement Me Too, on sent une libération de l’écriture et de la scénographie car certain·es assument la politisation de leurs propos, comme Shonda Rhimes ou Reese Witherspoon outre-Atlantique, alors qu’il est beaucoup plus difficile d’être militant·es en France, mais il ne faut pas oublier que des enjeux financiers rentrent en ligne de compte. Certes les projets féministes reçoivent moins de budget que des fictions plus populaires mais les studios et sociétés de production ont flairé le filon et savent que pour être dans l’air du temps, il faut se plier à cette nouvelle règle du jeu. Va-t-on vers une libération sexuelle sur nos petits écrans ? Iris Brey s’avoue plutôt défaitiste et pense que les diffuseurs continueront à prendre peu de risques et ne pas trop se mouiller sur ce terrain tandis qu’Ovidie Raziel se dit beaucoup plus confiante, étant donné que la diversité des genres ou des sexualités est de plus en plus représentée à la télévision depuis quelques années.

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