C’est à l’hiver 2018 sur TF1 qu’a été diffusée la mini-série La vérité sur l’affaire Harry Quebert tirée du roman du même nom de Joël Dicker qui a remporté le Grand Prix du roman de l’Académie française et le prix Goncourt des lycéens. Adaptée et réalisée par le cinéaste Jean-Jacques Annaud (Sept ans au Tibet, Le Nom de la Rose), la fiction est composée de 10 épisodes de 45 minutes que nous avons visionné après avoir lu le livre. Voici notre dossier « De l’encre à l’écran » consacré à L’affaire Harry Quebert.
***Attention, cet article contient des spoilers***
- L’histoire
En 2008, le célèbre écrivain Harry Quebert (Patrick Dempsey), connu pour avoir écrit Les origines du mal, un chef d’œuvre de la littérature contemporaine, se voit accusé du meurtre de Nola Kellergan (Kristine Forseth), une adolescente avec qui il a reconnu avoir une relation en 1975 alors qu’elle n’avait que 15 ans et dont le corps vient d’être découvert dans sa propriété, 33 ans après les faits. Son jeune poulain Marcus Goldman (Ben Schnetzer) compte bien innocenter son mentor et rétablir son honneur. Pour ce faire, il décide de mener sa propre enquête aux côtés du Sergent Perry Gahalawood (Daman Wayans Jr.) et d’en faire un livre intitulé La vérité sur l’affaire Harry Quebert.
Les timelines oscillent entre trois époques : celle de la disparition de Nola en 1975, celle des flashbacks sur la fondation du lien père/fils entre Marcus et Harry en 1998, et celle de l’enquête et de l’écriture du roman en 2008.
- Une adaptation religieusement fidèle
Chaque lecteur a cette crainte que le roman qui lui a tant plu à l’écrit soit dénaturée à l’écran. Il est vrai que certaines adaptations télévisées prennent de grandes libertés par rapport au livre initial (Le temps est assassin de Michel Bussi par exemple) et d’autres sont bien plus conformes aux romans dont elles sont issues (tel qu’Une chance de trop de Harlan Coben). Ici, nous sommes bluffés par la précision d’adaptation : il nous semble que les pages prennent vie sous nos yeux. Un sentiment de satisfaction intense nous envahit alors, l’oeuvre originale et le travail de l’auteur étant tout à fait respectés.
Seule différence notoire entre livre et série : Harry était âgé de 34 ans lors de son histoire avec Nola et non 41 comme dans le show. La raison incombe au choix de l’acteur principal, Patrick Dempsey, qui avait 52 ans au moment du tournage et qu’il aurait été difficile de faire passer pour un jeune homme de 34 ans. En dehors de ce détail, nous retrouvons bien les trois timelines, tous les protagonistes (dont l’aspect physique est tel que nous l’avions imaginé) et la même intrigue que dans le roman. A noter que Jean-Jacques Annaud offre une telle fidélité d’adaptation que certains dialogues du roman sont retranscrits à l’identique dans la bouche des acteurs !
- Des personnages tout en nuances
Tout comme leurs versions littéraires, les personnages dévoilent au fur et à mesure plusieurs couches de profondeur. D’écrivain mentor modèle, Harry Quebert s’avère beaucoup moins droit qu’il n’y paraît… Il en va de même pour Nola, qui sous sa fraîcheur et douceur apparentes cache une personnalité bien plus sombre ! Luther Caleb (Joshua Close) est-il le monstre que tout le monde prétend ? Pourquoi son patron Elijah Stern (Colm Feore) le protège-t-il contre vents et marées ? Et les Quinn sont-ils la simple famille qu’ils semblent être ? Quant aux officiers de police, auraient-ils quelque chose à se reprocher ?
Des protagonistes dont l’épaisseur se dévoile au fur et à mesure que le roman et la série avancent, et qui nous donnent envie d’en savoir toujours plus. Certains pourraient reprocher à l’adaptation télévisée sa lenteur tant l’action avance peu dans les premiers épisodes, cependant, cette vitesse de narration est fidèle aux 800 pages du livre et nécessaire à la montée du climax qu’offre le dénouement, riche en rebondissements.
- Une mise en abyme littéraire
Il est difficile pour une série de retranscrire la mise en abyme littéraire que propose le roman : présenté comme le livre écrit par Marcus Goldman, La vérité sur l’affaire Harry Quebert est un roman dans le roman. Or, pour la version télévisée, cet aspect est plus délicat à comprendre mais il est tout de même bien représenté puisque nous suivons Marcus dans son enquête et l’écriture de son livre. Nous perdons cependant les 31 conseils prodigués par Harry au début de chaque chapitre qui explique à son poulain comment écrire un bon livre, même si la scène du bar et de l’enregistrement nous mène vers cette voie.
Le ton du livre est également respecté, notamment dans la description de la relation entre Harry et Nola, le sujet étant très sensible puisqu’il s’agit de celle d’un homme et d’une jeune fille mineure. Le tout reste chaste sans choquer, libre à nous de nous imaginer ce que nous voulons. A l’écran, leur relation est tout aussi implicite et peu dévoilée, puisque nous les voyons à peine s’embrasser.
- Une histoire d’amour peut en cacher une autre
Sous ses airs de roman policier, La vérité sur l’affaire Harry Quebert révèle une autre couche de profondeur, à l’instar de ses personnages. D’histoire d’amour impossible entre Nola et Harry qui se finit en drame, nous découvrons en creusant une seconde histoire d’amour, encore plus improbable que la première puisqu’à sens unique et bien plus tragique en soi : celle de Nola et de Luther. Leur correspondance échangée nous rappelle celle de Roxane et de Cyrano de Bergerac, qui écrit en réalité les lettres à la place de Christian. C’est ce qui se passe ici, dans le roman et dans la série, lorsque nous comprenons que le véritable auteur des lettres d’amour à Nola n’était pas Harry mais Luther. Pis encore, le twist final nous révèle que le célèbre écrivain n’est qu’un imposteur puisqu’il a volé Les origines du mal à son réel auteur, Luther Caleb.
Bien que la référence à Rostand soit évidente, un second écho littéraire nous frappe également : celui de Victor Hugo et de Notre-Dame de Paris. Il prend davantage sens à l’écran puisque nous n’imaginons plus Luther dans notre esprit mais nous visualisons désormais avec nos yeux son triste aspect physique, alors que Nola est d’une lumineuse beauté en contraste. Fou d’amour pour la jeune fille, Luther sait cependant que ses sentiments ne seront jamais réciproques et il laisse partir Nola avec Harry… avant le drame. Bien que la scène soit inversée par rapport à Notre-Dame de Paris, nous pouvons entrapercevoir l’aura d’une Esmeralda lorsque Nola se jette sur le cadavre de Luther / Quasimodo avant de se faire tuer à son tour. Dans leur tragique destin, les deux improbables amoureux auront connu la mort au même moment et reposent désormais à jamais.
En conclusion, La vérité sur l’affaire Harry Quebert est un livre fort qui ne laisse pas indifférent, et son adaptation télévisée l’est tout autant. La beauté des décors du tournage, la réalisation poétique de Jean-Jacques Annaud et le choix impeccable des acteurs donnent vie aux pages du roman tel que nous pouvions l’imaginer. Seul bémol commun aux deux versions : une première partie plutôt longue à démarrer qui nécessite de patienter jusqu’à mi-parcours pour entrer enfin dans le vif du sujet. Une adaptation fidèle en tout point donc.
Fiche technique du livre
Titre original : La vérité sur l’affaire Harry Quebert
Auteur : Joël DICKER
Éditions : Éditions L’Âge d’Homme / Fallois
Date de parution française : 19 septembre 2012
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