Feud, c’est la nouvelle série de Ryan Murphy, déjà auteur de multiples séries reconnues, voire cultes pour certaines (American Horror Story, American Crime Story, Nip Tuck…). Elle raconte l’incroyable rivalité entre les actrices légendaires Bette Davis et Joan Crawford, pendant et après la tournage du film de Robert Aldrich Qu’est-il arrivé à Baby Jane ?
La série est portée par deux immenses actrices de cinéma, Jessica Lange (Tootsie, Blue Sky, King Kong) et Susan Sarandon (Thelma et Louise, La Dernière Marche), mais la totalité du casting est impressionnant. Elles sont notamment accompagnées de Kathy Bates (Beignets de Tomates Vertes, Misery) et Catherine Zeta Jones (Chicago). A elles 4, elles pèsent 5 Oscars (2 pour Lange).
Le casting se complète d’Alfred Molina, Stanley Tucci, Jackie Hoffman ou encore Judy Davis, avec une apparition de Sarah Paulson.
Alors, que vaut cette nouvelle création de Ryan Murphy ?
- Misogynie, hypocrisie, culture du jeunisme : immersion dans la société hollywoodienne
L’un des aspects les plus passionnants de la série est sa conception de « film dans le film ».
On assiste en effet à la production et à la mise en place d’un film devenu culte, au plus proche du procédé de création. L’ensemble de l’équipe de tournage, les difficultés financières (le film est tourné avec un budget de série B et les producteurs étaient réticents), les caprices des uns et des autres… on s’y croirait.
Mais Feud est également une acerbe reconstitution de la société hollywoodienne, où règne la misogynie à tous les niveaux dans les studios, mais également un hypocrite culte de la jeunesse. Feud s’ouvre sur une scène très équivoque sur la question, lors de laquelle Joan Crawford (Jessica Lange) observe, dépitée, une jeune Marilyn Monroe recevoir un Golden Globe : elle en ressent une immense frustration et l’impression que sa carrière est désormais derrière elle.
Joan Crawford et Bette Davis, pourtant déjà considérées comme des légendes à l’époque, vont devoir se battre afin de revenir sur le devant de la scène, et surtout accepter d’être ne serait-ce que considérées pour essayer d’y parvenir.
L’on voit notamment que malgré le succès du film, et la nomination de Davis aux Oscars, l’aura des actrices disparaitra aussi vite qu’il était réapparu.
Sur cet aspect, et grâce à l’habile traitement qu’en fait Ryan Murphy, Feud est bien au delà qu’une simple reconstitution d’une querelle d’actrice à l’égo surdimensionné, c’est aussi un portrait de femmes happées par l’industrie cinématographique, qui finissent par disparaître au fil que les années passent et qu’elles vieillissent, jusqu’à ne plus intéresser aucun réalisateur. La supposée haine entre les deux actrices est surtout motivée par la souffrance silencieuse et intérieure que toutes les deux ressentent face à leur condition.
- Grand et petit écran, une hypocrisie dépassée
Feud est une critique du Hollywood de l’époque (certains aspects pourraient cependant toujours s’appliquer aujourd’hui…) dans sa conception de la télévision et des séries TV/téléfilms qui transparait, très négative voire dénigrante. Robert Aldrich (Alfred Molina), se fait d’ailleurs menacer par les patrons de la Warner de devoir retourner à la télévision en cas de nouveau bide cinématographique, comme si ce chemin était synonyme de chute et de déchéance.
Cette vision est d’autant plus intéressante que ces dernières années, Ryan Murphy, créateur de la série, est probablement l’un des auteurs qui aura le plus contribué à redonner ses lettres de noblesse à la production télévisuelle, grâce à ses créations originales, mais également grâce aux immenses stars dont il a su s’entourer dans ses diverses créations (American Horror Story, American Crime Story, etc.)
Grâce à cette approche, Murphy parvient à rendre tout autant hommage à Hollywood qu’à la télévision: c’est finalement grâce à une production télévisuelle qu’il y parvient et c’est un beau pied de nez à la conception rétrograde de l’époque.
- Dantesques Jessica Lange et Susan Sarandon : une troublante résonance avec leurs modèles
Feud ne serait pas une telle réussite sans les talents combinés de ces deux extraordinaires actrices que sont Jessica Lange et Susan Sarandon.
Jessica Lange, déjà exceptionnelle dans les quatre premières saisons de American Horror Story (qui lui ont permis de revenir sur le devant de la scène de manière très remarquée), campe une Joan Crawford aussi puérile et manipulatrice que sa collègue, mais de manière moins outrancière et démonstratrice. Elle n’en reste pas moins formidable, tantôt amusante par son attitude, tantôt bouleversante de désespoir face au succès de Bette Davis, dont le rôle a été plus remarqué. L’épisode 5, qui retrace la soirée des Oscars 1963 lors desquels Bette Davis était nommée (et non Joan Crawford), excellent et un des meilleurs épisodes qu’il nous sera donné de voir cette année, illustre parfaitement ce double sentiment qu’évoque la performance de Lange, qui fait sourire tout le long de l’épisode, à essayer de piquer la vedette à Davis lors des Oscars, mais qui finit, lors d’une dernière scène bouleversante, à se demander ce qu’elle a réellement gagné, si ce n’est la dépression de sa rivale.
Susan Sarandon, moins habituée à la télévision, campe elle une Bette Davis bien plus antipathique et démonstrative que sa rivale. La ressemblance avec le modèle est encore plus évidente que pour Jessica Lange, mais c’est surtout son talent d’actrice que l’on retient. Elle est stupéfiante dans de nombreuses scènes, notamment lors du premier épisode où elle arrive pour la première fois grimée comme Bette Davis dans le film Qu’est-il arrivé à Baby Jane, ou plus encore lors de la défaite de cette dernière lors des Oscars, à laquelle le prix de la Meilleure Actrice semblait pourtant promis.
Les deux actrices campent des Joan Crawford et Bette Davis aussi détestables qu’émouvantes tant leur vie est emprunte de dépression, qui, finalement, avaient de nombreux points communs, comme nous le montre le formidable huitième et dernier épisode.
Au-delà des performances dantesques de ses deux stars, c’est aussi le parallèle avec les légendes qu’elles interprètent qui est stupéfiante : Susan Sarandon, comme Jessica Lange, a connu ses heures de gloire et est beaucoup moins en vue sur grand écran. A l’image de leurs modèles, les deux actrices ne font (faisaient) plus beaucoup parler d’elles. Avec Feud, elles prouvent au monde entier les deux immenses actrices qu’elles sont encore.
Les similitudes pourraient d’autant plus se répéter : il semble évident qu’avec autant de qualité d’interprétation et artistiques, Feud glanera de très nombreuses récompenses et prix lors des prochaines échéances (Emmy Awards, Golden Globes). Mais qui de Jessica Lange (de très nombreuses fois récompensées pour American Horror Story) ou Susan Sarandon repartira avec le sésame ?
Points positifs :
– Un casting fabuleux
– Une reconstitution de très grande qualité
– Passionnant de bout en bout
– Un plaisir immense pour tout cinéphile
– Des dialogues parfaitement écrits
Points négatifs :
– Bette Davis est quelque peu mise en retrait et apparaît moins à l’écran (pour rendre justice à Joan Crawford, snobée lors du succès du film ? )
En conclusion, Feud est probablement, à ce jour, et avec American Crime Story, la plus grande réussite de Ryan Murphy. La série s’adresse cependant davantage aux vrais cinéphiles, qui se délecteront de voir à l’écran les coulisses de cet excellent film qu’est What ever happened to Baby Jane, et et ce bel hommage à deux légendes de l’âge d’or hollywoodien. Bien plus qu’une simple histoire de rivalité entre actrices, assurément. 4,5/5