C’est lors du festival Séries Mania que nous avons eu l’occasion de rencontrer David Hourrègue, le réalisateur de SKAM France.
En tant que réalisateur c’est assez rare d’être aussi proche d’une fanbase, comme vous l’êtes. C’était important pour vous cette proximité avec le public ?
Alors, rien n’était prévu à la base. Je sortais des deux premières saisons, qui avaient fonctionné. J’avais déjà une communication avec les fans, mais c’était incomparable. Lorsque j’ai accepté de faire la suite, j’suis arrivé avec tellement de conditions, pour qu’on arrive à quelque chose de meilleur, que je pensais me faire virer, pour être honnête. Et la première chose était dans l’écriture et dans la diffusion en temps réel, d’être le plus proche possible des jeunes. C’était pas avoir une position un peu patriarcale de daron, c’était me mettre clairement à la hauteur de leur regard. Ce que je n’avais pas anticipé, c’est qu’au-delà de vivre les événements avec les personnages ils les vivraient à travers les personnages. Et là ça a commencé. Ça a commencé presque avec seulement le teaser et la première séquence avec Lucas sur son banc. Des dizaines, des centaines de messages par jour, dont beaucoup étaient tellement bouleversants, et moi j’ai pas l’habitude du tout de ça, que moi je me suis retrouvé un peu… Pas pris au piège du tout, mais dans l’incapacité totale de ne pas pouvoir répondre à ces personnes. Je dors peu et heureusement, ça me permet de faire des sessions quand ma famille dort… Mais c’est incroyable. Et je crois que si j’avais pas envie de répondre à ça, il fallait pas que je fasse SKAM France.
Comme vous l’avez dit, beaucoup de changements se sont opérés pour la troisième saison de SKAM France. Dans la version originale, cette saison est souvent la préférée de la fanbase. C’était pas un peu stressant justement de vouloir des changements sans savoir comment la fanbase allait les accueillir ?
C’était épouvantable. Dans le sens où, quand j’ai regardé la saison 3 d’origine, j’ai été tellement bouleversé et épaté… Que je me suis dis « non mais je peux pas me mettre dans une galère pareille, ça va pas ou quoi ? ». Et soudain… C’est venu. C’est venu dans le sens où je trouvais que c’était important de le raconter en France, mais j’étais aussi persuadé que si on me laissait la raconter façon française d’aujourd’hui, la différence se ferait naturellement. J’avais beaucoup d’idées de séquences. J’avais surtout la conviction qu’il ne fallait pas repartir sur Roméo et Juliette par exemple. On parlait quand même d’une série culte qui s’est basé sur un film culte et j’avais vraiment pas envie d’être le remake d’une série culte qui s’était basé sur un film culte, ‘fin la grande nécessité c’était de raconter une histoire qui parle aux jeunes d’aujourd’hui et ce qui a achevé de me convaincre, c’est ma rencontre avec une dizaine ou une quinzaine de personnes homosexuelles, bisexuelles ou transgenres, d’ailleurs c’était un peu étrange comme démarche « est-ce qu’on peut se voir pour discuter », et je leur ai demandé de me raconter non pas l’après coming-out, ou même le coming-out, mais les quelques heures qui ont précédé l’acte. Et j’ai encore un peu de mal à en parler. Ça m’a tellement bouleversé de voir le courage, la peur… Tout ce qu’il fallait pour se lancer, et je me suis dit que j’avais pas le droit de pas le raconter. Je suis père de famille. J’ai juste envie d’imaginer pouvoir apporter une toute petite pierre dans un monde où mes enfants pourraient aimer qui ils veulent à leur tour. Pour réussir, j’ai imposé des conditions drastiques sur quasiment tout, et j’ai eu la grande chance d’avoir une production qui a suivi.
Vous avez parler de Roméo et Juliette. Dans la version originale, Roméo + Juliette, l’adaptation cinématographique de Baz Lurhman a une place importante dans la storyline. Vous connaissez et appréciez son travail ?
Je l’aime et je l’accepte même quand il se foire (rire). Il a un talent fou, une direction artistique de malade. Roméo + Juliette j’ai mis beaucoup de temps à m’en remettre quand j’étais plus jeune… Moulin Rouge pareil, je l’ai pris dans la face. Justement, c’était tellement bien que je pense qu’on devait vraiment pas retomber là dedans. Quand Niels est arrivé en disant « je pense qu’on doit créer notre propre mythologie » c’était plus de travail pour moi, mais c’était encore plus excitant de me lancer là dedans.
Avez-vous regarder les autres version de SKAM ?
Alors, SKAM me prend 9 mois par an. 9 mois de ma vie pour aboutir à deux saisons. C’est énorme. Rajouter à ça ma connexion avec les fans et spectateurs, c’est énorme. Si je veux pas devenir fou, je regarde juste l’approche générale de SKAM Italia, de SKAM España… Juste pour voir, ce qu’ils font, et ce qui me plait immédiatement ou qui me plait moins. Ca m’amuse beaucoup mais je passe très vite à autre chose. J’étais content de voir ce qu’ils faisaient là dans DRUCK du coup j’ai partagé le trailer, mais je reste loin, pour ne surtout pas tomber dans la surenchère afin de rester connecté à l’histoire qu’on raconte. A force de se regarder et de voir qui fait ce qu’il y a de plus spectaculaire, on a vite fait de passer à côté du message de SKAM.
Vous avez vu que dans la version espagnole, la saison 2 sera centrée sur le personnage de Cris qui est donc la version espagnole de notre Alexia…
Oui ! Je suis tellement content. J’ai partagé le trailer aussi. J’étais en vacances au Portugal et j’étais pas très content que les italiens… Je suis qui pour dire ça ? Enfin, j’étais pas très content que les italiens fasse un remake du trailer. Depuis quand on remake un trailer ? Et paradoxalement j’ai adoré qu’ils le fassent en Espagne. Parce que c’est très important et j’ai trouvé ça couillu. Bon il s’avère que Cris va vivre globalement un peu les mêmes choses qu’Isak (dans la version originale de SKAM ndlr), mais j’étais très content de cette direction. Nous, avec Alexia, ce qui est assez marrant, c’est qu’à un moment y’a une séquence à la cantine où tout le monde parle de qui a pécho qui. Et Alexia, elle, dit qu’elle a pécho Clara, et c’est un non-événement. Et je sais que tout le monde à adoré le fait qu’elle dise ça mais que ce soit genre « Ah ok » et on continue de manger… Et c’est vrai qu’au sujet d’Alexia, la réflexion de ce matin était très vraie, on dirait qu’elle est passée au dessus de toutes les problématiques de SKAM. J’avoue qu’en ce qui me concerne, j’aimerais raconter ce qu’il y a derrière un sourire quasi-permanent.
Selon vous, le format clip, qui se popularise avec SKAM France en ce moment, il apporte quoi de plus que le fait d’attendre son épisode en entier devant sa télé un vendredi soir par exemple ?
Ca apporte une connexion beaucoup plus radicale avec les événements. C’est ce que je disais à la projections hier à Paris « Dans une semaine, vous qui avez suivi la saison 3 en temps réel, cette expérience elle sera finie. Les gens vont découvrir cette histoire de façon linéaire. Les épisodes se bing-watcherons, il n’y aura plus d’attente, il n’y aura plus d’angoisse, il n’y aura plus tout ça ». En fait, ce que ça apporte, c’est les gens qu’on a vu tout à l’heure et leur rapport à tout ça. Le fait qu’on parle d’eux, en même temps qu’eux. Ils sont à un âge où on aime follement, on souffre follement, et on a aucun espèce de recul par rapport à ce que l’on vit. Et je répète bien que je les prends pas de haut hein, je me mets à leur hauteur. Et c’est ça que ça amène. Une espèce de sur-connexion à leur cœur, sur l’instant. Et alors, je m’attendais pas à ce qu’ils souffrent autant quand Lucas souffre et qu’ils aiment autant quand Lucas aime. Et c’est incroyable.
Pourquoi SKAM, c’est important pour les jeunes ?
Alors il faut savoir que Julie Andem a écrit la série suite aux attentats en Norvège. NRK voulait écrire une série sur les jeunes, mais Julie a voulu raconter la jeunesse de son pays sans mettre de distance encore une fois. SKAM c’est capital parce qu’on aborde et on parle d’un âge où on est soumis au regard des parents. Les parents sont très absents dans la série, ce qui ne sera pas le cas dans la saison 4, je vous préviens tout de suite, les parents seront là. Parce qu’on peut pas raconter cette histoire là sans parler de ce que les parents amènent. Mais du coup, que nos spectateurs ont l’impression juste d’être considérés et je crois que Lucas l’a bien dit hier à Elliot « Tu n’es pas seul », et c’est juste « Tu n’es pas seul à vivre ce tournant là, tu n’es pas seul ». Vous imaginez pas le nombre de personnes qui arrivent et viennent nous voir en nous expliquant qu’ils ont survécus à une TS (tentative de suicide ndlr). C’est compliqué pour moi de passer à travers ça. Mais je les comprends, car moi aussi j’ai eu cet âge là, je pense que je suis toujours un peu connecté à cet âge là dans ma tête. Et si, juste, je passe les centaines de messages de personnes qui ont fait un coming-out à leur parents parce qu’ils ont eu l’impulsion… Et je crois que si une série, si un médium, aide un tout petit peu ces jeunes et ces personnes là à faire un pas vers eux même, le monde va un petit mieux à chaque fois qu’il y en a un qui le fait.
1 commentaire
BILLY OGER
le 27 mars 2019 à 10h46
ah merci pour cette interview , c’est très interressant et surtout de très bonnes questions .
Triste que la saison 3 se termine bientôt .