Lors du Festival Canneseries, nous avons eu l’occasion de rencontrer Lars Kraume, le réalisateur de Bauhaus – A New Era. La série allemande bientôt diffusée sur Arte se déroule en 1919, aux prémices du mouvement artistique Bauhaus et de son école dirigée par Walter Gropius. Suivant l’histoire de la jeune étudiante en art Dörte Helm à Weimar, Bauhaus A New Era aborde le féminisme, les conceptions artistiques ainsi que la modernité.
Sur la terrasse de la penthouse de l’hôtel Martinez, Lars Kraume, lunettes de soleil au nez, coca et cigarette à la main, nous en dit plus sur la série ayant remporté le prix de la Meilleure Musique durant le Festival.
Just About TV : Pourquoi avoir choisi de créer une série sur la naissance du Bauhaus, est-ce dû à l’anniversaire (cette année le mouvement artistique fête ses 100 ans) ?
Lars Kraume : C’est Thomas Kufus, le producteur qui a eu l’idée. Il s’est dit qu’il y avait une date anniversaire et que cela pourrait être intéressant de faire quelque chose sur le Bauhaus. Thomas Kufus a énormément lu et consulté de documentaires avant de me demander si je pouvais penser à une série dramatique. Je me suis dit : on ne fait pas des films sur des lieux, même pour des anniversaires, on les fait sur des gens. Je devais trouver une histoire intéressante qui soit suffisamment forte pour tenir l’histoire tout au long de la mini-série. Ma femme est une historienne de l’art. Elle m’a dit : si tu veux regarder le Bauhaus, regarde les femmes. Leur rébellion et leur tentative de combat pour leur libération est dramatique et intéressant.
Qu’avez-vous trouvé du côté de ces femmes ?
Nous avons regardé les biographies des femmes majeures du Bauhaus, nous avons eu de la chance de tomber sur cette femme pas si connue : Dörte Helm. Nous avons découvert que c’était la plus rebelle des étudiants. Elle était comme la porte parole de la libération des femmes. Elle a mené un rude combat avec Walter Gropius. Elle s’est battue pour ses droits. L’école était en train d’être changée, les femmes n’étaient pas autorisées à quitter le cours de tissage, qui était le cours réservé aux femmes. Cette lutte était tellement intense que les ennemis de Gropius ont dit « elle est si forte, ils doivent avoir une relation. S’il lui donne autant de privilèges c’est que quelque chose se passe. » Ils ont dû faire face à une Cour d’Honneur semblable à un procès de cette relation et examiner si le directeur du Bauhaus entretenait une relation avec une étudiante. Les accusations se sont avérées fausses mais personne ne sait réellement ce qui s’est passé en coulisse. C’est dans cette zone de spéculation que la fiction donne une certaine interprétation, tout le reste est fondé sur des faits. Quand on a découvert cette histoire, on l’a trouvé suffisamment forte comme fil rouge et comme équipe. La série est à propos du mouvement Bauhaus, d’histoire de l’art etc. Mais par dessus tout, elle a pour sujet le combat perpétuel pour l’égalité hommes et femmes et la lutte de pouvoir entre des hommes puissants et des femmes sûres d’elles.
Quelle place ont-elles dans le Bauhaus ?
Au fondement de l’école, elles étaient traitées comme l’égales des hommes. Mais les ennemis du Bauhaus, on peut le voir dans les premiers épisodes, ne voulaient pas du Bauhaus et disaient que cette libération des femmes doit cesser. Plus tard, Walter Gropius a retiré cette égalité et les femmes étaient uniquement autorisées à étudier le tissage. Elles devaient toutes l’étudier, qu’elles veuillent tisser ou pas. Si elles souhaitaient étudier la peinture, elles ne le pouvaient pas.
Pensez-vous que mettre en avant les femmes dans l’histoire du Bauhaus est une manière de corriger notre histoire et l’histoire de l’art où les femmes ont été presque totalement oubliées ?
Oui. Raconter les histoires des femmes, leur donner de l’espace, du temps et célébrer leurs œuvres. Ici, Dörte Helm n’est pas devenue une artiste très importante, c’est différent. Cependant, elle se bat contre une forme de répression qui avait lieu et qui est toujours d’actualité. Par exemple, si on prend l’étudiante Anni Albers, la femme de Josef Albers. Josef Albers est connu mondialement, il a été professeur au Black Mountain College, a enseigné les artistes américains, le minimalisme… Il n’y a aucun doute que Josef Albers était talentueux mais sa femme était également une grande artiste. Jusqu’à l’année dernière, le travail d’Anni Albers n’était montré uniquement dans des musées d’artisanat. Pour la première fois en 2018, il y a eu une grande exposition en Allemagne sur Anni Albers dans un vrai musée d’art. Cela montre qu’il a fallu presque cent ans au monde pour réaliser que cette femme est une artiste majeure. Plus tard dans la série, on verra également que certains couples travaillent ensemble et que l’homme est celui qui a son nom sur les œuvres.
Dans le pilote, on peut voir des photographies d’architectes typiques du Bauhaus. Avez-vous utiliser des images d’archives ?
Oui, quelques unes. Certaines choses sont si belles que l’on veut les montrer.
Comment avez-vous donné vie à ces œuvres dans Bauhaus – A New Era ?
Le problème quand on écrit, il est difficile de créer un moment décisif pour l’intrigue. Si l’intrigue perd son mouvement, les téléspectateurs assis devant leur écran vont se demander ce qu’il se passe. Enseigner l’histoire de l’art, dire aux gens quelque chose à propos de l’histoire de l’art, n’est pas quelque chose de très dramaturgique. Il a fallu créer des scènes où les polémiques sur l’art, sa position et son esthétique. J’ai relié les personnages avec un pays qu’ils ont en commun, un combat. Par exemple, plus tard dans la série, un homme du nom de Theo van Doesburg. Il a joué un rôle majeur dans le mouvement De Stijl (mouvement artistique néerlandais fondé en 1917 proche du Bauhaus, NDLR) et il a essayé de s’emparer de l’école. Il voulait éloigner Walter Gropius de l’école et récupérer la direction de celle-ci. Mais Gropius l’a invité sur place de manière à ce qu’il le confronte devant toute la classe. Le public peut alors se dire « ce gars est en train d’essayer de prendre le trône du roi ». Cela permet ensuite de discuter architecture et positionnement vis à vis de l’art car les étudiants choisissent qui ils souhaitent suivre. De cette façon, on peut intégrer l’histoire de l’art dans la dramaturgie. Pour le reste, on peut chercher dans les archives, le Bauhaus est si documenté, c’est incroyable.
Pensez-vous que la série peut parler aux téléspectateurs non familiers avec le mouvement du Bauhaus ?
Absolument, il n’y a pas besoin de savoir quoi que ce soit sur le Bauhaus. Je pense même que les gens qui connaissent un peu le Bauhaus ne savent rien sur Weimar. Cette première période sur le Bauhaus à Weimar n’est pas comme celle d’après à Dessau-Roßlau. Ce n’est pas cette architecture réduite et des produits du design. Cette production de masse n’a pas jouer un rôle à cette époque. Au départ, ils étaient des expressionnistes qui jouaient avec des idées diverses. L’esthétique est complètement différente de ce que l’on peut attendre du Bauhaus. Si on connaît les chaises tardives de Marcel Breuer et que l’on voit ses premières chaises africaines, cela n’a rien à voir. Je n’y connaissais rien et je trouvais cela très pertinent de découvrir cette facette du Bauhaus. Ces premiers temps étaient si différents.
Quelle a été votre réaction lorsque vous avez appris que Bauhaus – A New Era était sélectionné en compétition officielle à Canneseries ?
J’étais très heureux. C’était un petit peu problématique car nous n’étions pas prêts pour montrer la série. Nous avons été invités alors que nous étions encore en post-production à l’étape du montage. Mon équipe a dû travailler jour et nuit pour pouvoir présenter ces deux premiers épisodes. La projection de Bauhaus – A New Era au Palais des Festivals était vraiment agréable. Cela fait vingt-cinq ans que je travaille dans l’industrie audiovisuelle et je n’ai jamais visité Cannes. Tous mes amis allaient au Festival et je ne voulais pas y aller si je n’avais pas de film à y présenter. Et finalement, c’était d’autant plus appréciable de découvrir Cannes en tant qu’acteur plutôt que visiteur.