Nous vous l’avions dit mi-juin : France 2 avait commencé à diffuser une nouvelle série en six épisodes, Romance, avec Pierre Deladonchamps (Trepalium, Mouche) et Olga Kurylenko (Quantum of Solace, Hitman, Magic City), le tout écrit et réalisé par Hervé Hadmar. La série s’est terminée mercredi 25, dans la soirée, mais les épisodes sont toujours disponibles en replay.
Romance raconte l’histoire de Jérémy, projeté de 2020 à 1960 à travers la scène d’un club de jazz/rock, le Wonderland. Arrivé dans le passé, sans papier ni identité officielle, Jéméry va s’inventer Pierre, et s’installer chez Chris pour se rapprocher de sa compagne Alice, dont il est tombé amoureux, pour la sauver… mais de quoi ?
La série a déjà fait parler d’elle pour son pitch qui ressemble beaucoup à celui du roman Le Jeune Homme, la Mort et le Temps de Richard Matheson (publié en 1975), bien qu’Hervé Hadmar n’y ait fait aucune mention puisqu’il dit avoir eu l’idée en manipulant un vieil appareil photo…
A la rédac’ de Just About TV, nous avions validé le pilot, et avions envie de regarder la suite… Alors, qu’en avons-nous pensé finalement ? Que vaut Romance ?
*attention : cette critique comporte des spoilers*
- Une série très soignée visuellement
Le point fort de Romance est indéniablement son élégance. Visuellement, la série est superbe : on nous donne à voir une très belle photographie, les scènes sont accompagnées par une musique toujours juste, qu’il s’agisse de titres existants ou des morceaux créés pour accompagner l’intrigue. Les paysages sont idylliques, sur fond d’été à Biarritz, avec les pins, les palmiers, la mer et le surf, sans oublier une villa de rêve et une piscine grande comme un T3… Côtés costumes, les robes de ces dames ont un charme rétro qui s’accorde bien avec l’ambiance, on y croit.
Pour ce qui est de la mise en scène, nous avions noté quelques effets intéressants dans le pilot, qu’on ne retrouve malheureusement plus dans toute la série, jusqu’au dernier épisode où l’on apprécie à nouveau le grain ancien des images d’époque, qui se fond peu à peu pour retrouver une résolution actuelle et nette.
Le problème d’une réalisation aussi soignée est qu’elle peut parfois l’être trop, jusqu’à en paraît fausse : les années soixante ressemblent à une publicité, une carte postale presque en sépia, et en rien ne rappellent la vraie vie.
Romance souffre aussi d’un côté contemplatif poussé à l’extrême qu’on peut attendre d’un film, en un seul volet, pas d’une série de presque six heures (tous épisodes combinés). Il en résulte un constat assez trivial : que c’est long ! Trop d’exposition, des scènes qui s’éternisent dans la beauté, au détriment d’une intrigue qui n’avance pas. On pense à l’interminable scène de chant de Tony (Simon Abkarian) et Margaret (Barbara Schulz) au Wonderland, aux passages contés de la vie de Margaret qui arrêtent l’histoire pour nous en raconter une autre qui n’a rien à voir avec l’intrigue. Dans un livre, ce genre de récits parallèles serait le bienvenue, dans Romance, il semble allonger le temps.
Et déjà, le défaut majeur de Romance apparaît : c’est qu’avant d’être une série, c’est une histoire, qui n’a pas du tout été pensée pour son médium, d’où un nombre incalculable d’incohérences. Nous y reviendrons.
- Un fond plus qu’inégal auquel on n’arrive pas à accrocher, et des attitudes qui posent problème
Romance est indéniablement une série très inégale : le pilot peut paraître long et un brin laborieux, mais un pilot, parce qu’il pose le cadre de l’histoire, l’est souvent. L’épisode suivant ennuie, et c’est à partir du troisième épisode, jusqu’au cinquième inclus, que la série est à son paroxysme d’intérêt. On souffre avec Alice, on angoisse avec Pierre. Cette idée d’empêcher une vengeance s’avère finalement passionnante. Malheureusement, le dernier épisode déçoit. Cela fait une série dont seule la moitié est intéressante…
Un des gros problèmes de Romance est le fait que le spectateur n’arrive pas à suivre l’histoire. Dans un autre contexte, ça pourrait être le signe d’un récit imprévisible, qui surprend, mais ça ne fonctionne pas ici car on n’y croit pas et on se demande sans cesse pourquoi les personnages agissent-ils comme cela ? Le résultat est qu’on ne se sent pas raccroché au réel et on sort de l’histoire.
L’exemple le plus flagrant de ce problème est l’attitude du héros Jérémy allias Pierre (Pierre Deladonchamps) qui est absolument incompréhensible pour le spectateur. Comment est-ce possible que sa seule préoccupation soit de poursuivre une femme, une inconnue qui en plus le repousse à la moindre occasion, et ce sans plus se poser aucune question sur comment il va rentrer dans son époque ? L’amour n’est pas une excuse suffisante : on parle tout de même d’un homme qui sans crier gare se retrouve projeté dans le passé sans la moindre possibilité de rentrer en l’état actuel des choses (il ne s’agit pas ici d’un voyageur du temps qui serait en possession d’un gadget lui permettant de repartir d’où il vient à l’envi). Et pourtant, cela lui est complètement égal : seule compte cette femme, Alice (Olga Kurylenko), dont il ne sait rien et l’envie absurde de la suivre partout et de la sauver, alors qu’à ce moment-là il ne peut techniquement avoir aucune idée de ce qu’elle va faire et donc de son besoin d’être sauvée – mais sa voix-off, dès la fin du pilot, sait pourtant déjà qu’il faudra lui venir en aide.
A l’heure actuelle, l’attitude de Jérémy pose aussi problème : est-ce bien normal de poursuivre une femme comme un prédateur, une femme qui à plusieurs reprises informe le jeune homme qu’elle ne veut plus le voir, ni lui parler et qu’elle souhaite qu’il s’en aille ? Son obsession de la sauver oscille entre ridicule et harcèlement. L’histoire peut justifier cela par l’amour qui lie les deux personnages. Problème : on ne s’en rend pas compte une seule seconde, et lorsqu’ils s’embrassent, – sans la moindre émotion – cela tombe comme un cheveu sur la soupe. Jamais série n’a plus mal porté son titre ! On a affaire à une Alice détestable, voire insupportable qui n’a pas la moindre attitude d’amour dissimulé envers un Pierre qui lui court après comme un adolescent, au nez et à la barbe de son compagnon Chris (Pierre Perrier), qui malgré sa possessivité manifeste, laisse faire.
A plusieurs reprises, certains personnages informent Pierre qu’ils souhaitent qu’il s’en aille, mais lui n’en a que faire : pour quelqu’un qui a été transporté dans le passé sans comprendre, il fait preuve d’un aplomb incroyable.
- Beaucoup d’incohérences qui abîment la crédibilité
L’histoire de Romance peut laisser le spectateur perplexe parce qu’elle connaît des moments vraiment très peu crédibles – nous ne parlons pas ici du voyage dans le temps qui fait partie du fantastique, mais de toutes les autres actions censées se dérouler dans un monde réaliste. Ce défaut de crédibilité est palpable à bien des niveaux et commence par la mécanique de l’histoire où tout a l’air téléphoné.
Tout est facile pour Pierre/Jérémy qui entre par effraction sans le moindre souci chaque fois que l’envie lui en prend, de la chambre de Tony dans le pilot, à l’appartement du cardiologue dont il veut usurper l’identité. Dans ce même appartement, tout est à portée de main : du permis de conduire qui traîne, bien en vu, au diplôme trônant dans son cadre sur le mur. Le locataire n’entend ni la fenêtre s’ouvrir, ni Pierre farfouiller dans son logement, jusque dans son armoire ! Car Pierre a besoin de vêtements d’époque, mais n’a pas d’argent, du coup l’intrigue va lui en fournir sans se soucier de la crédibilité, et voilà Pierre qui se prépare une petite valise pendant que le locataire dort à poings (et oreilles) fermé.e.s dans la chambre d’à côté. Et lorsque Pierre vient menacer le cardiologue en lui intimant de ne pas le dénoncer, celui-ci va, bien sûr, obéir sans alerter la police par la suite.
Pierre a aussi besoin d’argent, du coup il vole allègrement dans différents portefeuilles sans que quiconque s’en aperçoive, et dépense aussi à tout va au gré de ses balades à Paris et des escapades nocturnes au Wonderland, mais l’argent ne lui fait jamais défaut.
Il a besoin d’un logement ? Un premier inconnu l’héberge et lorsque celui-ci le somme de partir, il va s’installer tranquillement chez une autre personne, femme qu’il connaît à peine, mais tout le monde a décidément le coeur sur la main dans Romance.
Pierre n’a pas non plus la moindre difficulté à percer les secrets les mieux gardés des gens, à découvrir tout de leur passé en ouvrant leur boîte secrète dont il a volé la clé sans se faire prendre, il gagne aussi leur confiance en un rien de temps en se souvenant de détails vus une seconde (la recette du Brooklyn, le contenu du livre de Margaret…).
Toute cette facilité, sans compter l’intégration sans fausse note et en un rien de temps de ce trentenaire des années 2020 dans les années soixante, sonne terriblement faux : Pierre obtiendra tout ce dont il a besoin, puisqu’il le faut pour l’histoire !
Enfin, on ne comprendra pas non plus pourquoi le Wonderland de 2020 (en tous points semblable au bâtiment de 1960) se trouve à Paris et non à Biarritz, comme celui du passé ! Sans doute pour faciliter la dernière scène des retrouvailles au sommet de la Tour Eiffel… Ou peut-être parce dans une série française, il faut à tout prix mentionner Paris.
L’explication à cette facilité réside dans le problème soulevé plus haut : Romance est une série sans qu’il y ait de raison et sans correspondre à ce qui est attendu d’un tel programme. On l’a vu, certains aspects rappellent le livre, d’autres le film, et toutes ces incohérences téléphonées passeraient mieux au théâtre ou dans un conte, où le spectateur est plus indulgent avec la réalité, mais pas dans une série. Le simple fait que Jérémy tombe fou amoureux d’une photo de femme de dos prise dans les années soixante (!) témoigne que l’histoire est issue du genre du conte, tout comme le fait que tout semble écrit : Jérémy est renvoyé dans le passé pour sauver Alice (une forme de destin donc).
Ces incohérences ne peuvent être justifiées par le fait qu’il s’agit d’une série fantastique, car ce n’est pas le cas : le fantastique n’est ici qu’un levier pour faire démarrer l’histoire, et passés l’arrivée dans le passé du pilot et le retour en 2020 du final, Romance n’a rien d’une série fantastique et ne cherche pas à en être une. A aucun autre moment, une action fantastique n’a eu lieu : Desforges ne s’est pas matérialisé sous forme de spectre, Alice ne l’a pas tué par la pensée, etc.
- Problème de casting
Romance souffre aussi d’un problème de casting : les trois personnages principaux, Pierre, Alice et Chris, ont tous été distribués à des acteurs trop âgés pour le rôle. S’il est déjà ridicule, dans un teen drama, de voir des comédiens presque trentenaires incarner des adolescents, regarder une série mettant en scène des trentenaires voire vingtenaires joués par des quadragénaires ne l’est pas moins.
Le personnage de Pierre/Jérémy est censé avoir presque dix ans de moins que son comédien (puisqu’il dit être né en 1986, contre 1978 pour l’acteur), mais c’est surtout le couple Chris-Alice qui pose problème : puisque Chris vit encore chez papa et maman, est manifestement sans emploi et prêt à se marier et fonder une famille, on en déduit qu’il est encore jeune, probablement vingtenaire. L’acteur de 35 ans faisant relativement jeune, cela passe encore, mais le physique d’Olga Kurylenko (40 ans) ne correspond pas du tout à la jeune femme, pas encore trentenaire, qu’elle est censée incarner. A qui va-t-on faire croire qu’Olga Kurylenko a moins de trente ans ? Encore une fois, ce genre de détails font douter le spectateur, et un spectateur qui doute est sorti de l’histoire.
Globalement, les interprétations sont bonnes, bien que Pierre Deladonchamps approche parfois du surjeu (d’une manière un peu théâtrale), peut-être pour jouer à fond la carte de la motivation dans ces scènes pas très crédibles. Pierre Perrier est le plus juste, incarnant très bien ce jeune homme qui semble bien sous tous rapports mais qui cache en fait une part terrifiante.
Olga Kurylenko est en revanche un très mauvais choix pour incarner cette femme supposément idéale, ou tout du moins fatale, mais cela peut être dû à l’écriture de son personnage : cassante, boudeuse, glaciale, elle est presque insupportable et perd tout charme dès qu’elle s’exprime de cette voix rauque au ton dur. Normalement, lorsqu’un personnage est froid, par contraste, ses rares scènes pleines d’émotion ont d’autant plus de valeur. Dans Romance, malheureusement, Olga Kurylenko est froide du début à la fin et n’apporte ni émotion, ni amour à son personnage. Enfin, on n’a normalement pas besoin d’informer le spectateur lorsqu’il doit tomber sous le charme d’un personnage. Ici, les autres rôles se livrent à un véritable matraquage de superlatifs élogieux à l’égard d’Alice, ce qui fait sonner cela encore plus faux.
- Un dernier épisode raté
Après une montée en intensité et en intérêt à partir de l’épisode 3, le cinquième épisode se termine par un climax qui donne envie d’enchaîner immédiatement avec l’épisode final : le ministre Desforges ouvre les yeux, il n’est pas mort et le dernier épisode promet de la tension pour Alice, confrontée à son presque-assassinat.
Et non ! Ce dernier épisode est le plus décevant, tant les pistes qu’il aurait été intéressant d’exploiter sont écartées au profit d’une écriture rocambolesque. Chris est-il fou à ce point pour ne pas réagir au choc de voir son père agonisant ? Ainsi, entre Chris, Pierre et Alice, il y a beaucoup (trop) de folie dans cette histoire, sans compter l’inhumanité du père de famille monstrueux.
Dès les premières minutes de l’épisode, lorsque Chris tue son père, apportant une rédemption facile et un brin immorale à Alice, l’épisode est raté. En plus de l’obsession de Pierre pour Alice dans les épisodes précédents, la série flirte avec l’absence de morale dans ce final où jamais la folie de vengeance d’Alice n’est questionnée – certes, sa vie a été traumatisante, mais est-ce une raison pour se changer en assassin ? La morale de l’histoire serait donc « oeil pour oeil, dent pour dent » ? Pierre, qui n’a pas pu commettre un assassinat, mais qui y était prêt par amour souffre du même traitement ; et pourquoi donc la seule solution pour sauver Alice lui semble être de tuer Desforges à sa place ? N’a-t-il même pas envisagé de la dissuader plus que par quelques phrases ? Quant à Chris, il se suicide par convenance pour le scénario sans que cela ne soit en accord avec sa personnalité : il tue son père de sang-froid mais se suicide dans sa piscine pour Alice ?
La psychologie des personnages est tout bonnement incompréhensible dans Romance. L’histoire d’amour continue d’être mal transcrite dans cet épisode final où la scène de l’aéroport ne suscite aucune émotion. Elle ferait mouche dans un film où elle serait attendue ; ce n’est pas le cas ici.
Enfin, le final en guimauve, taxe définitivement cette Romance comme étant à l’eau de rose.
- Bilan
Après un pilot intéressant, le déroulement de Romance s’est avéré problématique à la fois sur le fond et la forme. A trop soigner la forme, justement, à avoir déjà en tête une histoire pré-construite de ce qu’on veut montrer, au détriment de la crédibilité et surtout de son médium, on crée une série inégale et dont les défauts tempèrent grandement l’intérêt. Pour autant, la beauté de Romance peut suffire, si l’on garde en tête qu’il faut regarder ces épisodes pour ce qu’ils sont, un divertissement, un conte, en mettant toute crédibilité de côté. Notre note : 2,3/5.
5 commentaires
900rpm
le 29 juin 2020 à 10h13
Merci princesse pour cet éclairage.
Un nouveau tour de passe-passe en somme,tout en ellipse et dont je n’aurais pas saisi la finesse…
Princesse Sarah
le 29 juin 2020 à 9h41
Lire ses articlesOups, je n’étais pas connectée :
Bonjour 900rpm,
Tout à fait, moi j’ai compris ça comme le fait qu’elle aussi ait finalement voyagé dans le temps (mais le futur cette fois) pour que leur histoire d’amour s’accomplisse, et apparemment c’est aussi ce que voulait montrer le créateur de la série. C’est ce que j’évoquais dans le « final en guimauve » sur lequel je n’ai pas voulu m’attarder davantage…
Anonyme
le 29 juin 2020 à 9h39
Bonjour 900rpm,
Tout à fait, moi j’ai compris ça comme le fait qu’elle aussi ait finalement voyagé dans le temps (mais le futur cette fois) pour que leur histoire d’amour s’accomplisse, et apparemment c’est aussi ce que voulait montrer le créateur de la série. C’est ce que j’évoquais dans le « final en guimauve » sur lequel je n’ai pas voulu m’attarder davantage…
900rpm
le 28 juin 2020 à 23h33
A moins qu’il ne retrouve sa fille…!?
Help me 😆
900rpm
le 28 juin 2020 à 23h29
Il me semble qu’une autre belle incohérence touche le dernière épisode : Jérémy ne devrait-il pas retrouver une Alice bien plus âgée que lui puisqu’elle n’a pas voyagé dans le temps elle !?